Stefano Bianchi (1964)

 

Biographie 

 

Né en Italie en 1964, il découvre la photographie à l’âge de 12 ans par le biais d’un petit appareil Kodak Instamatic trouvé dans un tiroir.

Autodidacte de formation, après avoir touché à tous les domaines, du photojournalisme à la photo de mode, il se spécialise dans la photographie de nature morte en studio.

Très jeune il collabore avec les Editions Condé Nast (Vogue) à Milan pour lesquelles réalise des nombreuses séries d’images rédactionnelles.

Au début des années 90’ il réside en France où il alterne les collaborations avec la presse (Vogue, Glamour, L’Officiel, Jalouse, Madame Figaro, Libération, Télérama, etc.) et les campagnes publicitaires pour les plus importantes agences. 

A partir des années 2000, avec l’avènement du tout numérique, il s’éloigne peu à peu de la photo de commande pour se consacrer à une recherche personnelle qui a comme axes principaux lumière et matière.

 

 

 

 

 

Expositions 

 

« Festival de la Mode et de la Photo d’Hyères » Villa Noailles 2004

« Stracci » Galerie Philippe Chaume, Paris 2005

« Stracci » Città delle Donne, Naples 2006

« Stracci » MUDAM Luxembourg, 2006

« Art & Me » MUDAM Luxembourg, 2015

« Vies silencieuses » Galerie Camera Obscura, Paris 2016

« Grandes Ouvertes » Isba Besançon 2017

« La Ronde » Centre Photographique Rouen/Normandie 2019

« De Brescia à Gamagöri » (avec Masao Yamamoto), Strasbourg 2019

« Le hasard ne visite jamais les sots » In Extremis, Strasbourg, 2021

« Photographies » La Maison de Brian, Simiane-la-Rotonde 2022

« La part des Choses » La Petite Semaine, Paris 2023

« Inside » Cité Radieuse Le Corbusier, Marseille 2023

« Le parti pris des Choses » CRP Hauts-de-France, Douchy-les-Mines 2024 

 

 

Collection permanente MUDAM (Musée d’art moderne) Luxembourg

Artothèque de Strasbourg

 


 

Entretien entre Catherine Pennec et Stefano Bianchi le 30 septembre 2024

 

Catherine Pennec :

Bonjour Stefano, merci de nous accorder cette interview. Nous sommes ici à l’occasion de ton exposition Suivez mon regard qui se tiendra à la Galerie Catherine Pennec du 10 octobre au 16 novembre. Pour commencer, pourrais-tu nous parler de ce qui t’a conduit vers la photographie et de ton parcours ?

 

Stefano Bianchi :

Merci Catherine, c'est un plaisir. Mon premier contact avec la photographie s’est fait lorsque j’avais 12 ans. J’ai trouvé un vieux Kodak Instamatic dans un tiroir et, immédiatement, j’ai été attiré par la possibilité de capturer des instants. J’ai fait mes classes dans la rue, fasciné que j’étais par le photojournalisme. Par la suite j’ai complètement changé de registre et c’est avec les Éditions Condé Nast et les magazines du groupe Vogue que j’ai affiné ma technique en travaillant en studio sur des séries d’images rédactionnelles. Puis, au fil des années, je me suis éloigné du cadre strict des commandes commerciales pour plonger dans une recherche plus personnelle.

 

Les débuts et inspirations :

 

Catherine Pennec :

Tu viens de mentionner que tu as commencé la photographie très jeune avec un appareil Kodak Instamatic. Qu’est-ce qui a éveillé ta passion pour cet art dès ce moment-là ? Est-ce que tu te souviens de tes premières photos ?

 

Stefano Bianchi :

Oui, je me souviens que mes premières photos étaient des images en Noir et Blanc très contrastées ! C’était la grande mode dans le petit cercle de photo amateurs que je fréquentais à l’époque. Des portraits, des paysages, des scènes de rue. Je passais mes soirées enfermé dans un minuscule cagibi transformé en labo photo. La photographie m’a tout suite semblé être le moyen idéal pour un solitaire comme moi de regarder le monde, de saisir l’essence des choses. Peut-être aussi de me protéger de ce même monde que je ne comprenais pas tout à fait derrière un objectif, tout en le scrutant attentivement.

 

Catherine Pennec :

Ton travail a beaucoup évolué au fil du temps. Tu as touché à plusieurs styles de photographie, du photojournalisme à la mode, en passant par la publicité. Qu’est-ce qui t’a poussé à quitter la photographie commerciale pour te concentrer sur une approche plus artistique ?

 

Stefano Bianchi :

J’ai même fait pas mal de mariages ! (rires) À partir des années 2000, le numérique a profondément changé le métier de photographe, et j’ai ressenti le besoin de m’éloigner de la commande publicitaire. Ce qui pour moi représentait « l’aventure photographique », l’image pressentie et maîtrisée mais ne révélée qu’au moment du développement, l’inconnu et la surprise, le temps long et l’attente, disparaissaient pour laisser la place au « tout de suite », à une (fausse) facilité, avec leur cortège d’exigences de plus en plus farfelues de la part des clients. Le photographe, auparavant seul maître à bord, devenait une sorte de larbin hyper technologique. J’ai toujours été fasciné par la lumière et la matière, et cela est devenu l’axe central de ma recherche personnelle. Il ne s’agissait plus seulement de produire de belles images, mais de révéler quelque chose à première vue invisible, la "face cachée" des objets en quelque sorte. Mon travail explore cette idée de transformation, où les objets restent toujours reconnaissables mais gagnent en dimension symbolique.

 

La transition vers l’art photographique :

 

Catherine Pennec :

Dans les années 2000, tu as donc entamé une recherche personnelle axée sur la lumière et la matière. Qu’est-ce que tu cherches à capturer dans tes photos aujourd’hui que tu ne pouvais pas explorer à travers la photo publicitaire ?

 

Stefano Bianchi :

Comme j’ai dit précédemment, ce que je cherche à saisir c’est l’essence même des objets, au-delà de leur apparence triviale. Dans mon travail, je tente de révéler une dimension plus profonde, presque mémorielle. Je nettoie l’objet des couches superposées qui nous le rendent opaque, banal, sans intérêt, et l’objet se révèle. Dans mes photographies, il y a toujours ce paradoxe : je photographie les choses "telles qu’elles sont" mais, bizarrement, ce même geste les transforme. Comment ? Par quel biais ? Mystère… Elles deviennent autres sans renier leur nature, et c’est cette transformation que je trouve fascinante. Ce que je sais c’est que lumière et ombre jouent un rôle primordial dans cette révélation, notre cerveau fait le reste.

 

Les séries de l’exposition "Suivez mon regard" :

 

Catherine Pennec :

L’exposition Suivez mon regard présente des œuvres réalisées entre 2009 et 2024. Peux-tu nous parler de la diversité des séries exposées, comme celles des « Bois », « Boites », ou « Livres » ? Qu’est-ce que chacune de ces séries représente pour toi ?

 

Stefano Bianchi :

Chaque série est une exploration différente du même thème : la coexistence de l'objet et de son "double". Chaque objet, par ses caractéristiques propres nous ouvre un univers particulier. Par exemple, dans la série des « Bois », les éléments naturels deviennent architectures, mais d’un genre particulier, comme des vestiges d’un âge d’or oublié. Parfois ils dansent, créant des équilibres instables, fragiles. Dans la série des « Boites », je prends ces objets du quotidien, de vieilles petites boites en carton toutes fatiguées, et je les assemble. Je m’amuse comme un enfant qui joue avec du lego. Et voilà qu'à leur tour elles nous évoquent quelque chose d'autre. On sait que ce sont des boites, mais notre cerveau n’est pas tout à fait d’accord, il a envie de partir ailleurs. Dans l’abstraction ? Le trait d’union entre ces deux séries consiste dans ce dialogue, cette tension entre les différents éléments de chaque image qui, indissolublement soudés, forment un nouvelle entité. Enfin, je vois la série des « Livres » comme un ensemble de variations chromatiques autour du temps. Des pages vides, ou presque, qui, peut-être,  n’attendent qu’à être écrites par nos propres pensées, nos propres souvenirs, nos propres projections. Ou à rester vides comme des purs objets de méditation. Le titre « Exercices Spirituels » dit déjà tout.

 

Catherine Pennec :

Ton travail semble jouer entre ce qui est réel et ce qui est perçu, comme un « objet et son double ». Comment arrives-tu à capturer cette dualité, cette coexistence entre la réalité visible et une dimension plus symbolique ?

 

Stefano Bianchi :

Je ne sais pas vraiment, ça vient tout seul. Ce qui est sûr c’est qu’il s’agit d’un travail minutieux de mise en scène et de lumière, de vides et de pleins. L’objet est toujours là, parfaitement reconnaissable, mais la manière dont je l’éclaire, dont je le cadre, le transforme. Dans un certain sens, ça le libère de sa réalité factuelle, libérant aussi le spectateur lui-même qui peut y aller de sa vision personnelle. Le sujet, au fond, n’a plus aucune importance. C’est pourquoi chacun y verra des choses de différentes. Et c’est ça qui est beau.

  

Processus créatif :

 

Catherine Pennec :

Comment se déroule ton processus de création ? Est-ce que tu travailles spontanément ou planifies-tu minutieusement tes séries ?

 

Stefano Bianchi :

Il y a une grosse part de spontanéité dans le choix des objets, qui sont souvent des rencontres fortuites. J’ai en tout cas une prédilection pour les objets de forme simple, presque insignifiants, car ce sont ceux qui me permettent le plus de liberté. Comme des matériaux bruts. Mais une fois l’objet choisi, il y a un travail très précis sur la lumière, l’ombre et la composition. Sans oublier l’espace autour du sujet aussi, très important !

 

Catherine Pennec :

Est-ce que la musique joue un rôle dans ton travail créatif ? Si oui, qu’écoutes-tu lorsque tu travailles sur tes photos ?

 

Stefano Bianchi :

Pas vraiment. Je travaille souvent dans le silence.

 

Inspirations et influences :

 

Catherine Pennec :

Quels sont les photographes qui t’ont le plus inspiré tout au long de ta carrière ?

 

Stefano Bianchi :

Etrangement ce sont ceux qui apparemment n’ont aucun lien avec ce que je fais. Très jeune j’étais fou de gens tels que Henry Cartier-Bresson, Robert Capa ou Eugene Smith. Ils m’ont beaucoup appris. J’ai aussi toujours aimé et j’aime toujours des photographes comme Mario Giacomelli, Ralph Gibson ou encore, dans un autre registre, Karl Blossfeldt ou August Sander. En somme, que des photographes qui ne font que du Noir et Blanc quand je ne travaille quasiment qu’en couleur… C’est drôle, non ?

 

Catherine Pennec :

Au-delà de la photographie, y a-t-il d’autres formes d’art ou artistes qui influencent ta façon de voir le monde ?

 

Stefano Bianchi :

Oui, la peinture et la peinture ! Les grands maîtres, bien sûr. Mais aussi des artistes plus contemporains qui font des choses remarquables. Regarder leurs œuvres me donne envie de créer, de continuer et au même temps me remet à mon humble place de simple photographe. C’est parfois salutaire.  

 

Catherine Pennec :

Pour finir, que souhaites-tu que le public retienne de l’exposition Suivez mon regard ? Quelle émotion ou réflexion aimerais-tu susciter chez les visiteurs ?

 

Stefano Bianchi :

J’aimerais surtout que les visiteurs sortent de cette exposition surpris, contents et « inspirés ». J’aimerais que mes photographies soient vues non seulement comme des belles images, mais aussi comme des portes vers des mondes intérieurs, des fenêtre ouvertes sur des paysages inconnus. J’espère que chaque personne trouvera sa propre résonance, que chaque image évoquera une émotion, un souvenir ou une réflexion. Suivez mon regard est une invitation à voir au-delà des apparences, à se laisser surprendre par l’inattendu.

 

Catherine Pennec  :

Merci beaucoup Stefano pour cet échange passionnant. Nous avons hâte de découvrir l’exposition et de suivre ton regard à travers ces œuvres. Le vernissage aura lieu le 10 octobre à partir de 18h en ta présence, et l’exposition se tiendra jusqu’au 16 novembre à la Galerie Catherine Pennec.


Ce qu’on a dit de son travail :

 

« …et en effet, les créateurs ici présentés, parmi les plus grands du XXème siècle, de Méliés à Josef Sudek ou Dora Maar, jusqu’à leurs descendants les plus contemporains (Valérie Belin ou encore Stefano Bianchi, entre autres) ont tous comme point commun celui d’avoir, comme le dit la conscience commune, « fait bouger les lignes ». Elles et ils ont refusé les frontières préétablies pour s’aventurer toujours plus loin, sans crainte, au devant de l’altérité et de l’inconnu… »

(Laurent Devèze, à propos de l’exposition « Grandes Ouvertes », 2017) 

 

« Avec ses photographies de chiffons intelligemment composées, Stefano Bianchi (1964) représente, avec beaucoup d’humour, le monde dans toute sa futilité. Un monde où l’apparence et l’estime de soi exagérée deviennent primaires par l’achat de vêtements de luxe. Les chiffons et les déchets deviennent des symboles d'une vie trop courte et du temps qui passe. Avec ces représentations de la vanité du monde moderne, l'artiste questionne la valeur des choses matérielles et des belles images. »

(Dossier de presse exposition « Art & Me », MUDAM Luxembourg) 

 

« …Le travail de Stefano Bianchi ne témoigne d’aucun événement sinon du regard de l’artiste ; comme le peintre s’y autorise, Stefano Bianchi explore la matière de son médium. L’approche est minimaliste et l’œuvre d’une éblouissante richesse picturale. »

(Raphaëlle Stopin, 2019)

 

« …Tous ne sont pas à la hauteur de Jan Fabre au Louvre, hélas ! mais quelques-uns relèvent magistralement le défi. Suspendues entre des métiers à tisser, des cardeuses et autres imposantes machines-outils, les photographies grand format de Stefano Bianchi apparaissent magistralement à leur place dans les espaces de cette usine textile ; à leur place et cependant subtilement décalées, comme des spectres de ce qui était l’essence même de ce lieu. Sur chaque photographie des vieilles serpillères, des rectangles de tissus dégradés, usés par le labeur, beaux comme peuvent l’être de vieux visages ridés. »

(Colin Cyvoct, « L’œil », mars 2019. A propos de l’exposition « La Ronde »)

 

« … Ici ce sont quelques livres qui seront l’objet de ses méditations photographiques sur le temps qui passe et qui efface, sur le temps encore à écrire, autour de quelques pages (presque) vides. En constant équilibre entre réalité et abstraction, ces pages ouvertes sont une simple invitation à aller au-delà du sujet pour accéder à un espace mental où l’objet n’est plus objet mais pure perception. »

 

(Raphaëlle Stopin, dossier de presse « Le parti pris des Choses », 2024