Parallèlement à une carrière de traducteur et d'enseignant, Laurent DELAIRE (né en 1971) développe une pratique autodidacte à laquelle il se consacre désormais pleinement. Elle se partage entre peintures, dessins et installations. Il est régulièrement présent aux salons MacParis et Puls'art (72).
Ses installations ont notamment été mises en espace à la galerie Empreintes (63) ainsi que lors d'une résidence à Dompierre-sur-Besbre (03).
En 2018 en 2020 il est au Parcours de l'art à Avignon et en 2019 expose en résonance avec la biennale de Lyon (partenariat MAPRAA).
En 2022 son travail fait l'objet d'une exposition au centre d'art Campredon à l'Isle-sur-la-Sorgue(84) puis plus récemment il enchaîne les expositions dans plusieurs galeries d'art contemporain.
Expositions personnelles :
Expositions collectives :
CP : Laurent, tout d'abord, merci d'avoir accepté cette interview. Je suis très heureuse de vous retrouver et d'accueillir votre nouvelle exposition, Lisères, à la galerie. Avant d’entrer dans le vif du sujet, pourriez-vous nous parler de ce que cette exposition représente pour vous ?
LD : Merci, Catherine. Avec Lisères, je poursuis entre autres choses un travail sur l'exploration des frontières — à la fois physiques et métaphoriques — entre le visible et l’invisible, le lisible et l’illisible, ce qui est une réflexion de longue date dans mon travail.
CP : Vous êtes né en 1971 dans la Chaîne des Puys et vivez aujourd’hui près de Vichy, donc toujours en Auvergne. Votre enfance à la campagne semble avoir beaucoup influencé votre travail. Pouvez-vous nous en parler ?
LD : J’ai grandi dans un cadre paisible, entouré par la nature. Cet environnement m’a donné une sensibilité aux nuances et aux rythmes lents, qui imprègnent encore mon travail aujourd’hui. La maison était calme. Petit, j’aimais observer les mains de ma mère qui cousait énormément. J'adorais aussi regarder mon père écrire et je me régalais du cliquetis du stylo qu'il utilisait. Je dessinais beaucoup et mes parents encourageaient mes activité créatrices.
CP : Vous avez je crois un rapport particulier aux paysages auvergnats ?
LD : Oui. Presque tous les paysages représentés sur mes travaux -particulièrement en ce qui concerne les lisières-, ont une dimension autobiographique. Ces images sont des propositions à partir de lieux que je fréquente assidûment. Le point de départ d'un dessin est donc toujours une photographie ou un croquis. Ensuite, je m'en éloigne, mais il est important que ce dessin soit ancré dans le réel.
CP : Vous mentionnez souvent l’influence de la littérature. Quels écrivains ont compté pour vous ?
LD : La littérature a toujours été une compagne essentielle. J’ai une affection particulière pour les écrivains irlandais et anglais des XIXe et XXe siècles : E.M. Forster, Jane Austen, Liam O’Flaherty, ou encore John McGahern. Ils ont cette capacité à évoquer les silences, les non-dits, et à capter l’essence des lieux et des moments : Howards end, la maison du roman éponyme de Forster, ou bien les rochers et les éléments en symbiose avec l'âme chez O'Flaherty, me fascinent.
CP : Vous avez d’abord suivi des études de langues avant d'exercer différents métiers, comme traducteur pour la télévision. Comment êtes-vous passé à une carrière artistique ?
LD : Mon père était enseignant, et j’ai suivi la même voie que lui avec des études de langues. J’ai exercé plusieurs métiers dans l'enseignement, puis j'ai été auteur de doublages et quelque temps traducteur pour l'édition. Mais le besoin de créer existait bien avant tout cela, et il est resté vivace. En vérité pendant toutes ces années je n’ai jamais cessé d'aller à l'atelier, quotidiennement.
CP : Votre parcours vous a aussi mené à fréquenter régulièrement Paris. Est-ce là que vous avez trouvé certaines de vos inspirations artistiques ?
LD : Inspirations je ne sais pas, mais j'ai passé énormément de temps dans les musées, dans le but notamment de construire ma culture artistique. Mais c'est au Musée national d'Art Moderne que pendant mes études j'ai découvert l'art contemporain. C’est là que j’ai rencontré, entre autres, le discret travail de Pierrette Bloch, qui me touche profondément encore aujourd'hui. Sa manière d’explorer la répétition, les rythmes, et de travailler des matériaux modestes dans une grande économie de moyens a eu une influence indéniable sur ma pratique. Mais on pourrait aussi citer Pierre Soulages ou Adriena Simotova entre autres.
CP : Vous êtes un artiste aux pratiques très diversifiées, travaillant le dessin, la peinture, la céramique, les installations et même un temps la broderie. Qu’est-ce qui relie ces différents médiums ?
LD : La lumière, le silence et le temps. Ces éléments sont au cœur de tout ce que je produis. Quelque soit le médium, je cherche à faire émerger la lumière à travers la matière, souvent en procédant par effacement ou retrait du medium. Quand au silence, pour moi ce n'est pas tout à fait l'absence de bruit, mais plutôt l'ensemble des sons feutrés liés par exemple aux déplacements dans la maison ; ainsi dans mes environnements Ils devenaient tous des ombres ou Endormi, j'étais roi, le visiteur produit par ses déplacements un frémissement audible du papier de soie qui constitue l'oeuvre. Le temps est aussi une notion clé : il s’agit de s’arrêter, de contempler. Mes tableaux noirs ne peuvent s'appréhender que lorsque la rétine s'est habituée à la pénombre, ce qui peut prendre un certain temps selon les regardeurs.
CP : Précisément vos œuvres sur bois au noir de Mars se caractérisent par cette technique que vous venez de mentionner de retrait et d’effacement. Pourquoi avez-vous choisi cette approche ? Est-ce une manière de suggérer ou de révéler quelque chose de caché ?
LD : Je viens d’évoquer la lumière très présente notamment dans les œuvres que j’avais exposées chez vous en 2023 (« Ces blancs que je creuse »), mais ces techniques me permettent également d'explorer ce qui reste quand on enlève, quand on efface le superflu. Par ce biais, je tente de faire émerger l'essentiel dans une atmosphère que je qualifierais d'idéale, une semi obscurité propice à l'introspection. Cela s’inscrit dans ma recherche des limites : entre le plein et le vide, entre ce qui est montré et ce qui est caché mais dont la présence redevient tangible une fois que le regard s'est habitué au noir.
CP : Pour « Lisères », vous semblez revenir au support papier. Pourquoi ce choix ?
LD : Le papier est un matériau humble mais chargé de mémoire. Il respire, il vit avec le temps. C’est aussi un support fragile, une matière qui peut être déchirée, pliée, chiffonnée, marquée, effacée. En ce moment je vis le travail sur papier comme une sorte d'expérience opposée, mais pas non plus contradictoire, à ma peinture sur bois, support rigide, plus solide, et que je n'abandonne pas pour autant. Disons qu'en parallèle je vise aussi à l'économie de moyens, à plus de souplesse et de légèreté, ainsi qu'à davantage de fragilité.
CP : Vous introduisez également l'écriture asémique dans vos œuvres. Qu’est-ce qui vous a conduit à cette forme de langage ?
LD : L’écriture asémique, que je pratique depuis de nombreuses années mais sans spécialement chercher à la faire évoluer, est une manière de s’affranchir du sens explicite des mots pour se concentrer sur le geste qui la produit. Elle n'a donc pour moi d'autre vocation que d'être vécue, elle est un moment de pleine conscience, presque méditatif. En l'exposant, j'invite le spectateur à une « lecture » intuitive, personnelle, et du coup elle résonne avec mon envie de laisser de l’espace pour l’imaginaire et l’interprétation. Intégrée à l'exposition d'aujourd'hui, elle est un prolongement de ma réflexion sur le temps, les zones d’incertitude et l'impermanence.
CP : Si vous regardez votre parcours, y a-t-il des choses que vous auriez souhaité faire différemment ?
LD: J'ai longtemps cru que je souffrais d'un déficit de connaissances parce qu'autodidacte, alors je me suis plongé dans l'histoire de l'art. Puis pendant quinze ans j'ai travaillé dans l'enseignement et ensuite comme traducteur, mais sans jamais laisser de côté la création parce qu'avec le temps elle s'est révélée être une nécessité absolument viscérale, en vérité bien plus importante que la possession de connaissances. Dans le domaine artistique, avec l'âge je me suis découvert extrêmement tenace. Je ne laisse jamais tomber, je vais au bout des expériences, quitte à tout rater. Je vis dans une maison envahie par mon travail mais aussi par des oeuvres d'autres artistes ; ces dernières m'accompagnent et très certainement aussi m'aident à vivre. Il y a pas mal de livres, mais avant tout du papier vierge, des crayons et de la peinture. Pour répondre à votre question, je dirais que toutes mes expériences ont été constructives, formatrices, mais quand il y a quinze ans un moment d'épuisement m'a forcé à faire un choix... j'ai choisi l'atelier, parce que c'était la seule chose à faire et certainement aussi une question de survie. Cette nécessité que j'évoque plus haut s'est imposée et a fait le ménage pour ne garder que l'atelier, mon espace le plus précieux. Peu à peu, dans ce parcours les choses se sont mises en place naturellement, même si cela s'est parfois fait aussi dans la douleur.
CP : Et pour l’avenir, quels sont vos projets après Lisères ?
LD : Je ne fais aucun plan à long ou à moyen terme. Ma source principale d'inspiration, c'est ce qui vient d'être fait et qui est posé, souvent au sol, parfois pendant des mois, dans l'atelier, voire bien souvent dans la maison (la salle de séjour est sacrifiée à cet usage). Je m'en nourris longtemps et un jour la suite s'impose d'elle-même. Mon travail évolue lentement, sans vraiment d'à-coups. Aujourd'hui je viens chez vous avec ce que j'ai produit de cette façon durant les deux dernières années. Je n'ai rien d'autre à vous proposer et je vous remercie de l'accueillir.
CP : Un dernier mot pour les visiteurs qui viendront découvrir Lisères ?
LD : J’espère que cette exposition leur offrira un moment de pause, une invitation à explorer leurs propres lisères, ces zones floues, ces espaces charnières où le monde devient plus vaste et plus riche, un monde que l'on explore tant à l'extérieur de soi qu'à l'intérieur.
CP : Merci, Laurent, pour cet échange passionnant. Nous avons hâte d’accueillir vos œuvres et de les partager avec le public.
LD : Merci à vous, Catherine, et à très vite pour nos nombreux échanges dans la préparation de cette exposition qui demande un travail d'organisation que je suis bien heureux de ne pas avoir à assumer seul. Encore merci, donc, pour votre confiance et votre enthousiasme.
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